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Photo du rédacteurÉmile Ackermann

Naso - Le Nazir, saint ou fauteur ?








Le dialogue présenté ici commence déjà de manière énigmatique : Dieu Lui-même, sans qu’on lui demande, ouvre la porte à un nouveau rituel très spécifique, comme s’il était important pour la société juive d’avoir cette possibilité. Un homme ou une femme peut décider de s’abstenir de trois choses : le vin, se couper les cheveux, et se rendre « impur » (tamei) pour un mort ; il devient Nazir. A la fin du vœu de Nezirout, il ira au Temple avec plusieurs sacrifices, dont une offrande « de faute », c’est-à-dire une offrande que l’on offre pour se faire pardonner d’un péché. Une question alors très connue est posée par beaucoup de commentateurs : comment se fait-il que le Nazir soit d’un côté comparé au Grand Prêtre dans sa sainteté et de l’autre qu’il soit contraint d’amener une offrande de faute ? Question qui débouche finalement sur une autre : la Torah voit-elle d’un bon œil un certain ascétisme tel qu’il semble être présenté à travers le Nazir ? Seulement, il s’agit à mes yeux d’une question trop large et la réponse est beaucoup plus nuancée, telle que nous allons le voir. Rabbenu Behaye, entre autres, note que la portion du Nazir vient juste après celle de la femme Sota, soupçonnée d’adultère. Une personne ayant vu le processus épuisant et dégradant de la Sota déciderait alors de s’abstenir de boissons enivrantes, car c’est par elles que vient la débauche. C’est-à-dire que le Nazir voit que se laisser aller complètement à la boisson ne peut que résulter dans la débauche. Les cheveux longs seraient un moyen d’avoir devant soi de manière constante un rappel à son vœu, peut-être à l’image des tsitsit que l’on porte sous son habit. L’expression « Yafli » vient alors appuyer l’idée d’un excès de l’autre côté, PL pouvant aussi dire quelque chose de « différent », car le Nazir ne fait pas que s’éloigner du vice comme tout un chacun : l’abstention de vin voir de toute boisson enivrante est un pas supplémentaire symbolisant le refus de satisfaire ses sens. Nazir peut à l’instar de KADOSH, vouloir dire « séparé ». C’est aussi ce que pense Ibn Ezra, qui dit « יפריש או יעשה דבר פלא כי רוב העולם הולכים אחר תאותם» « Il fait une chose complètement séparée, exceptionnelle, car la majorité du monde cours après ses impulsions ». Le Nazir est ici porté en figure d’exception : il refuse le monde des sens pour un monde du sens. Figure encore appuyée par le commentateur Sforno : « Yafli » veut dire se distancer des plaisirs vains des personnes ordinaires, être un Nazir c’est choisir une vie de renonciation pour se vouer complètement à Dieu. S’abstenir de vin et de plaisirs sensuels est suffisant et ces interdictions viennent remplacer les pratiques de flagellation qui pouvaient avoir lieu auparavant. De l’autre côté, nous l’avons dit, le Nazir doit amener une offrande de faute, mais quelle est sa faute ? Rashi sur place dit que sa faute est « de s’être abstenu de vin », c’est-à-dire justement des plaisirs de la création. C’est une «mahloket », une discussion entre Shmuel et Rabbi Elazar Hakafar B’Rebbe d’un côté et Rabbi Elazar de l’autre. Les deux premiers disent qu’une personne qui jeune [en plus des jeunes institués] est appelée une personne pècheresse. Mais Rabbi Elazar maintient au contraire que c’est une personne sainte ! Ainsi, Rabbi Yehouda Halevi dans son Kuzari dit « que la diminution de sa richesse n’est pas un acte de piété en soi, […] et que la contrition d’un jeune n’est rien face à la joie d’un Shabbat ». Il existe une voix ascétique dans la tradition, mais elle n’est manifestement pas la plus acceptée. Les bons repas de fêtes, réalisés grâce à un argent dûment gagné, sont un moyen de sanctification de Dieu bien plus qu’une tristesse et une renonciation aux plaisirs du monde. Ces moments-là ont leur place, ritualisée dans le calendrier, mais bien moins que les simples jours de fêtes qui sont eux omniprésents, simplement avec le Shabbat. Le Nazir n’est ni blanc ni noir, ce n’est ni un saint ni un faible : osons avancer que c’est une personne torturée. Il existe deux types de Nezirout : une fixée dans le temps, qui a un début et une fin, et une « à vie », qui ne prend fin qu’à la mort. Nous avons l’exemple d’un Nazir connu dans notre Bible mais la tradition rabbinique en a isolé notamment deux, que nous allons voir. Le premier est Samson, personnage présent dans le livre des Juges (Chapitre 13). Il n’est pas connu pour sa sagesse ou sa sainteté, mais simplement pour sa force et sa foi presque naïve. Ce n’est pas une personne qui a décidé d’être Nazir à cause de la débauche qu’il aurait pu constater sur terre, mais il a été simplement voué à sa naissance par ordre divin. Il a l’air au contraire au cours de son histoire de porter attention à ses pulsions, qu’elles soient meurtrières ou amoureuses. Deux autres ont attiré l’attention des sages : Absalon et Josef. La Gemara Sota (10B) nous dit qu’Absalon était trop fier de la beauté de ses cheveux dont il prenait grand soin, et c’est pour cela précisément qu’il est mort par ses cheveux, qui se sont emmêlés dans une branche et l’ont coincé sur un chêne. Il a pu alors être abattu par ses ennemis. De même, on nous dit de Josef qu’il prenait grand soin de lui et qu’il était beau. La Gemara Shabbat (139a) nous dit qu’il était aussi Nazir, car « séparé » de ses frères. Josef est connu pour avoir surmonté une pulsion très forte lors de l’épisode de la femme de Potifar qui chercha à le séduire. Sur le point de succomber, il eut une vision qui lui donna la force de résister. De même, nous avons un « Narcisse » dans le traité Nedarim (9b). Un homme raconte qu’il décida d’être Nazir le jour où il se prit à contempler sa propre beauté dans le reflet de la rivière. Voyant qu’il était en train de se perdre dans la vanité de la Beauté, il décida au contraire de se limiter d’abord puis « s’enlaidir » en se coupant les cheveux desquels il tenait sa beauté à la fin de sa Nezirout. En fait, dans tous les derniers cas cités, ce sont justement les cheveux qui sont responsables de la beauté du Nazir ! Le fait de les couper après ne fait pas revenir la personne à une vie « normale » mais au contraire le rappelle à sa beauté perdue. Ce qui nous fait dire que le Nazir est un symbole très ambivalent : soucieux de se retenir, de s’éloigner de la vanité du monde matériel mais rendu plus beau par le même effet ; appelé saint et fauteur en même temps ; conçu dans la tradition biblico-rabbinique comme pouvant en même temps être un guerrier et brutal d’un côté et un homme coquet et sensible de l’autre… Ainsi, la Nezirout concentre en elle toute la tension d’une personne vivant dans notre monde, et elle doit exister (comme nous le disions au début) car c’est en quelque sorte une « explosion » hors du monde qui permet d’y revenir. La personne ressentant le besoin de la Nezirout est une personne qui ressent de plein fouet la tension d’une personne vivant sur Terre, et aspirant en même temps à une sanctification de celle-ci en la transcendant. C’est aussi pourquoi il est appelé fauteur : la Torah nous signifie que, bien qu’il soit permit de l’être, cet excès n’est pas requis par Dieu. Il est possible de vivre cette tension du monde de manière harmonieuse, sereine, tranquille à travers une sanctification de la matérialité quotidienne ; sanctification qui passera notamment par nos sens. Refuser ceci, c’est en même temps une grande force car c’est faire violence à une partie de notre humanité au nom d’une plus grande valeur, mais c’est aussi un aveu de faiblesse, car avoir besoin de cette « violence » lorsqu’elle n’est pas requise ne peut à terme, être un projet de vie en soi. C’est pourquoi la Nezirout est envisagée dans la Torah comme un passage, une étape au départ, c’est seulement dans la tradition orale que l’on parle d’une Nezirout « à vie », qui serait réservée à des personnages spéciaux. En souhaitant qu’il nous soit possible d’affronter les étapes de la vie sans nous faire violence inutilement, Shabbat Shalom.


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