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Amira


Poème de Myriam Ackermann-Sommer

Amira – c’est moi qui me suis nommée. Le nom que je portais jadis, je l’ai enfoui dans les entrailles de la terre afin qu’il s’y consume. Ce nom, je l’ai noyé dans les eaux du She’ol, et l’ange de l’oubli a bercé ses voyelles. Les grands vents du désert ont tari ses syllabes assoiffées. Ils ont éparpillé comme des ossements ces lettres desséchées qui n’avaient plus de son qui n’avaient plus de sens. Amira – c’est moi qui me suis nommée, et j’ai nommé le dire d’avant tout dit, ce nom une blessure qui palpitait à même la chair, dans une ombre de langue. Le nom que je portais comme une étoffe usée, je l’ai plongé sans haine dans le gouffre insondable ; c’était un nom amer, le temps l’a englouti comme la mer les chars des Égyptiens Mais cette fois dans le silence Sans une larme de l’Éternel. Qui, aujourd’hui, s’en souvient ? Second chant qu’est le mien en ce nom – chant d’une mer plus obscure. Si j’ai brisé le nom que m’ont donné les miens, c’est qu’eux-mêmes n’avaient plus ni sève ni semence. C’était un peuple sans descendance. J’aimais pourtant le lieu qui me vit naître, la maison de mon père, ces demeures lointaines que j’appelais : ma terre. Mais je leur préférai l’exil, le glaive L’ombre d’une autre tente. Il me fallut alors disperser aux quatre vents Les fragments de mon nom, ces idoles brisées Puis tisserande de vent j’ai tissé mon nom dans une étoffe neuve. Il m’a fallu tracer les lettres moi-même, une à une. Je les rêvais hébraïques sur le rouleau déployé comme le drapeau de mon espérance. J’avais écrit ma propre Loi – il ne me fallut que quelques lettres sur le palimpseste offert comme la chair de l’aimé. Et j’aimai mon nom sitôt qu’il fut écrit dans une encre impossible : je lui dis, j’entendrai, je ferai ce que le Nom ordonne. Devenir autre – faire de soi-même un cantique vivant. Désormais seul le nourrisson de nom parlera Puisque les idoles, sans lèvres, ne sauraient laisser éclater leurs louanges Ni ceux qui descendent au silence. Vois, je porte aujourd’hui mon seul nom d’exilée Comme une myriade d’étoiles fichées au cœur, comme une antique promesse dont nul ne sait plus ce qu’au juste elle promettait. Ce nom, je lui ai insufflé et la voix et le chant. Je me suis rêvée prophétesse ; j’ai libéré le nom comme une voix captive, je l’ai tiré de l’abîme où toutes les lettres orphelines s’apprêtent à prendre langue. Dans la fièvre de l’attente, ses lettres ont crié vers moi : je les ai pêchées moi-même dans les profondeurs. Tâtonnement de nom, naissance : cette errance M’a menée de noms en noms Vers le Nom qui ne dit pas son nom. Le Peuple dont jadis j’arpentais les sillons Il m’a interrogée et j’ai répondu : J’ai aimé le Nom de toutes mes forces et de toute mon âme. Amira – l’âme ira où tu iras. Ainsi m’adressai-je au Peuple qui me demandait mon nom d’élection : Amira – c’est être simplement parole. Mon nom je lui ai insufflé et la voix et le chant : mon nom était muet avant qu’on le prononce. Il m’a suivie dans mon exode, lettre à lettre, fidèle au serment qu’il ne prononça pas. Sa forme est irrégulière, lumineuse ; c’est une traversée d’étendues insondables, un luth aux cordes distendues, un tambourin aux inflexions inconnues. La grâce est nuée mais le nom m’est précieux : mon désert intérieur rayonne de ce nom Par lui seul j’échappe au sommeil du sable et de la pierre ; par lui seul, et pour toi, je me fais sentinelle, et veille dans la nuit. Mon Nom m’a fait danser dans un monde immobile.


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